La substitution Thérapeutique : peut-on vraiment chausser tout le monde avec une pointure unique?

Votre santé pourrait être en danger parce que vous êtes différent!

Le rationnement médical s’est faufilé dans la trame de la vie canadienne. Parce que certaines administrations nous piquent des droits et réduisent notre accès ici et là, nous devons rester très vigilants. Des nouveaux programmes, qui limitent notre couverture, transforment nos systèmes de santé en monstres. Si vous n’avez pas encore rencontré ce monstre, vous pourriez bientôt le faire. Votre assurance médicament pourrait être la suivante à restreindre sa couverture. Voici une analogie de ce qui se passe…

Imaginez un ‘plan chaussures’ soutenu financièrement par le gouvernement où chacun est garanti une paire de chaussures. Annoncé avec le slogan ‘des chaussures fournies à tous’, le but du programme est d’être rentable. Le seul défaut, c’est qu’il n’y a qu’une seule pointure et qu’un style unique – spécifiquement des chaussures de femme à talon aiguille rouge, de pointure six! C’est certainement rentable car l’achat en gros se traduit par un prix à l’unité très bas, et que la paire est à la disposition de tous. Maintenant, imaginez les limites d’un tel programme. Ces chaussures sont inutiles pour ceux qui n’ont pas la pointure six et qui ne sont pas assez tenaces pour porter des talons aiguille. L’approche consistant à dire ‘une pointure pour tous’ afin de fournir des chaussures est complètement absurde. Pourquoi donc, les divers gouvernements, fournissent-ils des systèmes de ce type, lorsqu’il s’agit de santé?

Quand on étudie les sensibilités, allergies, et préférences dans un groupe de personnes choisies au hasard, il y a plus de réactions différentes que le nombre total de chaussures au monde! Il y va de même en ce qui concerne les effets indésirables aux médicaments chez les humains. Alors que les médicaments sont essentiels pour maintenir la population en bonne santé – et sont aujourd’hui d’excellente qualité dans notre système santé – ils ne conviennent pas à tout le monde. Tante Julie réagit très mal à son médicament pour la tension et ne peut le supporter; Oncle Robert ne peut prendre un médicament untel pour son mal de tête sans aggraver la douleur. Mon amie Isabelle n’est jamais soulagée par un médicament si elle respecte la posologie recommandée, et Jacob a une éruption pour quasiment tout antibiotique. Nous avons tous entendu des histoires de ce type : il n’y a là aucune surprise.

A ce propos, en 2005, Santé Canada a mis en service le site internet Medeffet (www.healthcanada.gc.ca/medeffect) pour centraliser les rapports sur les effets secondaires aux produits de santé et alimentaires, aux appareils médicaux et aux médicaments. Ce site recueille l’information sur ces produits s’ils sont inefficaces ou si leur efficacité n’est pas celle qui était prévue. Dans les coulisses du site est une base de données centralisée et vérifiée comprenant des rapports écrits par des canadiens –les patients utilisant ces produits ou leurs médecins, infirmiers ou pharmaciens. L’information recueillie montre bien que certains produits peuvent être très efficaces et ne montrer aucun effet secondaire chez certaines personnes mais provoquer des effets secondaires sévères chez d’autres. Cette base de données ne fait que confirmer ce que nous avions déjà prévu – à savoir que, même semblables sur bien des plans, nous sommes chacun unique – vive la différence!

Avec l’approche « une pointure pour tous » en médecine, certains canadiens atteints de reflux gastro-œsophagien sévère ou RGO ne pourront peut-être pas avoir recours aux médicaments essentiels pour contrôler leurs symptômes accablants. Les assurances pharmaceutiques mettent en œuvre des mesures de coût-efficacité qui interfèrent avec les relations médecin-patient et qui, à la longue, ne sont pas rentables sur le plan fiscal.

Les administrateurs du programme PharmaCare en Colombie Britannique (CB) ont pris un premier pas géant sur cette pente glissante en juin 2003. Leur nouveau programme de rationnement, nommé substitution thérapeutique (ST), a été lancé avec peu de préavis et sans être précédé de réflexion sur les effets possibles d’une telle action sur la santé des patients.

Tous les patients prenant un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) pour traiter un RGO sévère ont dû cesser de prendre leur médicament qui traitait leurs symptômes, et ont dû commencer à prendre, à la place, un produit moins cher. La CB a changé les règles de remboursement sans justification et sans faire de projet pilote pour voir s’il y avait un risque pour la santé en remplaçant un médicament par un autre chez tant de patients.

Le PharmaCare de CB a admis que la substitution de traitement a « échoué » chez 25% des patients qui avaient été forcés de prendre le produit le moins cher. Ceci veut dire que des milliers de personnes, qui étaient stabilisées par un certain médicament, ont recommencé à présenter des reflux acides sévères douloureux et à avoir des symptômes comprenant diarrhée, vomissements, nausées, douleur thoracique et fatigue. Certains ont même été hospitalisés pour des vomissement de sang. Après huit semaines d’échec – on a rendu l’ancien médicament à ceux sur qui le nouveau médicament n’avait pas d’effet – mais tous ces changements ont été très pénibles pour ces patients.

C’est vrai que le plan du gouvernement de CB s’est bien passé pour 75% des patients mais à quel coût pour les 25%? Si vous faisiez partie de cette minorité pour qui le traitement le moins cher n’était pas efficace, vous auriez risqué votre santé! Nous devons nous poser des questions sérieuses. Une assurance maladie accessible de qualité, est-elle seulement pour la majorité? Et lorsque vous pensez que peut-être dans l’avenir vous ne ferez pas partie de la majorité – le système vous laissera-t-il tomber?

Les administrateurs du programme PharmaCare de CB ont assumé que tous les médicaments de la classe des IPP étaient interchangeables bien qu’ils avaient tous des noms de marque différents et n’étaient pas des versions génériques. La CB n’a pas substitué un produit pour son équivalent générique, mais elle a substitué une marque pour une autre, de composition chimique complètement différente. C’est comme si un homme avec des pieds de pointure douze essayait de mettre des chaussures de femmes à talon aiguille pointure six!

Les conséquences du programme de rationnement ST médicamenteux ont été plus coûteuses et beaucoup plus gênantes qu’une cheville foulée ou que des ampoules dues à des chaussures mal ajustées. D’abord, il y a le poids tangible sur le système de santé des consultations chez les médecins, l’utilisation des services hospitaliers d’urgence et des séjours à l’hôpital; les examens supplémentaires; et les produits pharmaceutiques jetés – 25% des prescriptions jetées aux ordures des patients qui présentaient des effets secondaires ou n’étaient pas soulagés. Ensuite il y a la souffrance du patient, la perte de productivité due aux stress émotionnels et économiques. Les histoires de ce qu’ont vécu ces personnes en CB sont accablantes. Il est évident que « la même pointure pour tous » ne marche pas mieux en médecine que pour les chaussures.

Cette substitution en masse chez des patients stabilisés nous a prouvé ce que nous savions déjà, à savoir qu’un produit qui a un effet favorable chez un individu, ne convient pas à un autre. Les patients sont différents, comme sont les médicaments. Il est impératif que le médecin puisse choisir le traitement correct pour le patient. Lorsqu’on oublie cela, les programmes de « médicaments les moins chers à tout prix » résultent en fait en une augmentation des coûts du système de santé.

Lorsque les patients n’ont pas réagi favorablement au produit le moins coûteux, le système de santé de CB a dû payer pour que ces patients voient leur médecin, aient des examens complémentaires, et soient hospitalisés. Le problème, c’est que le RGO se présente avec des symptômes imitant ceux d’une crise cardiaque. Par conséquent, lorsque les nouveaux médicaments ne traitaient pas les malades pour leurs symptômes de RGO, ceux-ci se présentaient parfois avec les symptômes d’une crise cardiaque. Ceci est très coûteux pour le système de santé et très effrayant pour le patient.

Parmi les six marques de produits dans la classe des IPP, la différence du prix par journée de traitement est inférieure à un dollar. Un patient pourrait prendre le produit le plus coûteux pendant des années avant d’atteindre le prix d’une admission en examens cardiaques d’urgence, pour une douleur thoracique. Permettre aux patients de continuer le même traitement efficace ne causerait aucune modification dans leur vie et ne causerait aucun coût supplémentaire au système de santé.

Pourquoi un gouvernement choisirait-il de risquer la santé de patients pour une si petite économie dans le budget pharmaceutique, avec un budget potentiel si coûteux dus aux soins hospitaliers, diagnostic, et médicaux associés? Il s’agit d’une mentalité silo, où un département du gouvernement ne comprend pas son effet sur d’autres. Ceux qui administrent les budgets hospitaliers et médicaux feraient bien de regarder au-dessus de l’épaule de ceux qui décident les budgets pharmaceutiques, pour s’assurer qu’ils dépensent assez pour aider les patients à rester en dehors des hôpitaux et du bureau du médecin. Ceci montrerait une vraie responsabilité fiscale.

La recherche internationale montre que pour avoir une qualité de soins optimale et un résultat positif, les médecins doivent avoir la possibilité de prescrire des médicaments basé sur les directives des meilleures pratiques cliniques pour l’historique médical unique de chaque patient. Les médecins ne prennent pas seulement leur décision à partir de données quantifiables, mais aussi après une évaluation de chaque patient basée sur un jugement intuitif formé durant de nombreuses années d’apprentissage et d’expérience clinique. Soigner un patient n’est pas résoudre un problème mathématique. Penser que la santé d’une personne peut être améliorée ainsi est simpliste. La médecine est une science, mais aussi un art.

Pourquoi les juridictions qui financent la santé publique ne le reconnaissent pas : c’est une question de personne et non une question de chiffres! Il n’est pas logique économiquement de limiter aujourd’hui l’accès à un certain médicament qui traite correctement une maladie sérieuse, pour ensuite payer des milliers pour les conséquences d’une maladie non contrôlée.

Donc quelles sont les alternatives? Ne critiquons pas ce qui existe sans éclairer notre nouveau chemin à parcourir, et trouver une chaussure qui nous va. Tout d’abord, les assurances médicaments de remboursement (gouvernementaux, privés, etc.) doivent s’engager à ne pas mettre en danger la santé des patients. Ensuite ils doivent inviter les patients, les médecins, les pharmaciens et autres groupes intéressés, à participer à l’établissement de réformes durables, propres au Canada. Il pourra y avoir des programmes d’éducation pour aider les patients à prendre leurs médicaments comme prescrits; encourager comme mesure préventive le bien-être général et promouvoir l’implémentation d’autres stratégies de gestion de santé intégrées chez le patient.

La Société Canadienne de Recherche Intestinale et de nombreux autres groupes, qui sont membres de la Coalition pour une Meilleure Médecine et la Coalition pour un meilleur Pharmacare demandent aux administrateurs de formulaires médicamenteux à travers le Canada de cesser de mettre en risque la santé des patients. Ils mettent également en place des solutions qui reconnaissent le besoin de restreinte fiscale, tout en choisissant pour le patient le meilleur traitement.

Votre assurance médicament pourrait être le suivant! Depuis que la CB a fait le saut dramatique en mettant en place une substitution thérapeutique pour les inhibiteurs à la pompe à protons, d’autres juridictions ont aussi commencé à réduire l’accès à ces médicaments. Le programme de Service de Santé Non-Assurés (SSNA) qui s’occupe de la couverture des personnes autochtones a aussi fait des coupures dramatiques et les patients souffrent.

La situation empire. Aujourd’hui ils rationnent les médicaments pour le RGO, demain cela pourrait être les traitements pour diminuer le cholestérol, ou les anti-dépresseurs, ou même le médicament que vous prenez pour rester en bonne santé.

Les Canadiens méritent d’avoir accès à tous les médicaments approuvés par Santé Canada. Lorsqu’ils sont utilisés intelligemment, ces produits sauvent des vies, repoussent la maladie, et améliorent la qualité de la vie. Je préférerais confier ma santé à un médecin qui connaît l’histoire de ma maladie, qu’à un employé du gouvernement dont le but seul est de diminuer le coût dans un silo unique de l’assurance maladie. Qu’en est-il pour vous?


Gail Attara, Présidente et directrice générale
la Société gastro-intestinale
Publié pour la première fois dans le bulletin The Inside Tract® numéro 158 – 2006