SII et hormonothérapie substitutive

Ne nous en voulez pas parce que nous sommes des hommes.

En tant que jeune homme, j’en suis venu à croire qu’à bien des égards, le sexe féminin est perdant sur le plan de l’évolution. Voici quelques exemples qui illustrent comment j’en suis arrivé à cette conclusion. Comme je regardais, il y a quelques soirs, une émission télévisée qui relatait un accouchement exténuant de 36 heures sur la chaîne The Learning Channel, chaque cri de douleur, trempé de sueur, qui émanait de la future maman, m’a rendu très reconnaissant, à l’instar de tous mes chers confrères de l’espèce mâle, d’être né sans utérus. Je suis fier d’avoir une mère, une qui vieillit à contrecœur et grâce à qui je peux observer de près une autre particularité de l’espèce féminine – le chaos émotionnel et physique qui s’appelle ménopause. Les hommes n’ont heureusement jamais eu à faire face à des sautes d’humeur et des bouffées de chaleur. Et bien sûr, les femmes envieront toujours aux hommes la bonne fortune qu’ils ont de pouvoir uriner debout! Comme si ces injustices et toute une multitude d’autres imputables à cette fameuse paire de chromosomes X n’étaient pas assez, les femmes doivent faire face à une autre menace… le syndrome de l’intestin irritable (SII). Le SII touche plus de femmes que d’hommes, les rapports pouvant être aussi élevés que 3:1. Qui plus est, une étude récemment publiée suggère que les femmes qui suivent une hormonothérapie substitutive (HTS), comme celle qui peut être prescrite pour combattre les symptômes de la ménopause, sont à risque plus élevé de développer le SII.

Le SII est une affection à multiples facettes qui se caractérise par une sensibilité intestinale accrue, une motilité intestinale modifiée et une fonction sécrétoire affaiblie. Le SII est l’une des maladies les plus courantes observées en milieu de soins primaires et touche environ 10 à 20 % de la population générale.1 Malgré sa prévalence, les chercheurs et fournisseurs de soins de santé n’ont toujours pas formulé de conclusions définitives quant à l’étiologie du SII, à la classification et au diagnostic appropriés, et aux stratégies de traitement qui sont les plus efficaces. Étant donné l’absence de réponses à toutes ces questions fondamentales, il n’est pas surprenant que très peu d’études aient cherché à caractériser les différences qui existent entre les femmes et les hommes par rapport au SII. Les résultats préliminaires des quelques études qui ont examiné les différences entres les sexes, indiquent qu’en plus du taux de fréquence accru, les femmes chez qui l’on a posé un diagnostic du SII signalent une qualité de vie plus pauvre dans l’ensemble et un plus grand nombre de symptômes tels que les nausées, la constipation, le ballonnement et d’autres symptômes extracoliques (p. ex., l’urgence urinaire et la rigidité musculaire).2 Les chercheurs ont postulé que les différences qui existent entre les facteurs hormonaux, les réponses au stress et d’autres facteurs psychologiques pourraient expliquer les variations observées entre les hommes et les femmes.

Bien qu’il existe un consensus chez les chercheurs qui étudient le SII, selon lequel la maladie touche plus de femmes que d’hommes, une étude menée par Ruigómez et coll. a rapporté que le taux de fréquence du SII chez les femmes diminue avec l’âge.3 Après l’âge de 70 ans, le taux d’incidence chez les femmes était comparable à celui observé chez les hommes. Cependant, le taux de fréquence du SII était plutôt constant pour tous les groupes d’âge chez les hommes. Les auteurs ont suggéré que la diminution de l’incidence observée chez les femmes était liée à la baisse du taux d’estrogène qui est caractéristique de la ménopause. C’est ce qui a incité le groupe de Ruigómez à étudier la corrélation entre l’HTS (l’utilisation d’un régime d’hormones sexuelles féminines synthétiques par voie orale ou transdermique) et le développement du SII.

40 199 femmes âgées entre 50 et 69 ans suivant une HTS et n’ayant pas reçu un diagnostic d’une maladie gastro-intestinale ont été comparées à une cohorte de 50 000 femmes qui n’avaient jamais suivi une HTS.4 Les sujets ont été étudiés dès le début de l’étude jusqu’au plus rapproché des évènements suivants : les sujets ont reçu un diagnostic du SII, les sujets ont atteint l’âge de 70 ans, les sujets sont décédés, les sujets ont été exclus à cause de facteurs extrinsèques (p. ex., abus d’alcool ou cancer) ou l’étude a pris fin.

À la fin de l’étude, il a été confirmé que 660 femmes avaient développé le SII. De ces cas, le taux d’incidence du SII chez les femmes ne suivant pas une HTS a été évalué à 1,7 pour 1 000 années-personnes tandis que le taux chez les femmes suivant une HTS était de 3,8, un taux presque deux fois plus élevé. Ces résultats ont été observés de façon systématique quels que soient le régime précis d’HTS prescrit, la voie d’administration (orale ou transdermique) ou la durée du traitement. Ruigómez et coll. a conclu que le risque accru de développer le SII comme résultat d’une HTS pouvait être attribué à la présence d’estrogènes exogènes. Ces estrogènes agissent d’une manière similaire aux hormones sexuelles endogènes naturelles qui circulent en plus hautes concentrations dans le corps avant la ménopause. En suscitant un mécanisme physiologique qui reste à définir, ces niveaux élevés d’hormones pourraient vraisemblablement être responsables de la prépondérance de femmes atteintes du SII comparées aux hommes.

En plus des facteurs âge et sexe qui jouent un rôle dans le SII, tel qu’il a été antérieurement rapporté, l’association récemment documentée du SII à l’HTS a donné naissance, comme toute bonne démarche scientifique, à plus de questions que de réponses. Pourquoi observe-t-on une différence entre les sexes par rapport au SII, et la manipulation des influences hormonales sur l’intestin peut-elle être utilisée comme cible potentielle pour la mise au point de futures thérapies contre le SII? Comme la recherche sur le SII se poursuit, avec un peu de chance ces questions seront résolues. Entre temps, les femmes devront continuer de vivre avec la susceptibilité accrue de développer le SII tout en portant les autres fardeaux que Dame Nature a infligés au sexe féminin. Mais si les scientifiques découvraient par hasard une façon pour les hommes de porter des enfants à terme, il serait plus facile pour les femmes de supporter le risque accru de développer le SII.


Andrew Ming-Lum, B.Sc. (spéc.)
Publié pour la première fois dans le bulletin The Inside Tract® numéro 139 – Septembre/Octobre 2003
1. Jones, R., et al. (1992) Irritable bowel syndrome in the general population. British Medical Journal. 302:87-90
2. Chang, L., et al. (2002) Gender differences in Irritable Bowel Syndrome. Gastroenterology. 123:1686-1701
3. Rodriguez, G., et al. (2000) Detection of colorectal tumor and inflammatory bowel disease during follow-up of patients with initial diagnosis of irritable bowel syndrome. Scandinavian Journal of Gastroenterology. 35(3):306-11
4. Ruigómez, A., et al. (2003) Is hormone replacement therapy associated with an increased risk of irritable bowel syndrome? Maturitas 44(2):133-40
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