Les IPP pour gérer le RGO

Soupeser les bienfaits et les risques potentiels

Le reflux gastro-œsophagien (RGO) pathologique se manifeste lorsque la partie supérieure du tube digestif ne fonctionne pas bien, laissant le contenu de l’estomac remonter dans l’œsophage. Les brûlures d’estomac récurrentes en sont le symptôme le plus courant; notons aussi la sensation que les aliments ou les liquides remontent dans la gorge, un goût aigre dans la bouche, ainsi que plusieurs autres symptômes moins courants. Jusqu’à 29 % des Canadiens éprouvent des symptômes récurrents.

Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont une classe de médicaments s’étant avérés les plus efficaces pour le soulagement des symptômes, l’amélioration de la qualité de vie, de même que la guérison et la prévention des lésions de l’œsophage. Les médecins les prescrivent aussi pour traiter l’ulcère gastro-duodénal et la dyspepsie fonctionnelle. Les IPP agissent en bloquant une enzyme dans la muqueuse de l’estomac qui est nécessaire à la sécrétion d’acide. Parmi les effets secondaires signalés par certains patients, notons les maux de tête, la diarrhée, la constipation, la douleur abdominale et les nausées. Ces effets disparaissent habituellement d’eux-mêmes, permettant aux patients de continuer à prendre leur IPP.1

En raison du nombre croissant de personnes au Canada qui prennent des IPP, parfois à long terme, des études se sont penchées sur les risques potentiels associés à l’utilisation d’IPP à court terme et à long terme.1,2 Les chercheurs ont cerné toute une gamme de problèmes pouvant se développer avec le temps, y compris des fractures osseuses, une carence en vitamine B12, des taux faibles de magnésium (hypomagnésémie), des évènements cardiovasculaires et une infection à C. difficile. De nouvelles recherches sont toujours en cours, mais le présent article se penchera sur les problèmes les plus courants dont vous pourriez avoir entendu parler.

Malgré les manchettes alarmantes, la plupart des recherches actuelles n’ont fait que démontrer qu’il existe des liens statistiquement significatifs entre l’utilisation d’IPP et plusieurs problèmes de santé, sans que ces liens soient bien compris. Les experts jugent les médicaments de la classe des IPP comme étant assez sécuritaires, même pour une utilisation à long terme. Ils recommandent aux médecins d’utiliser des procédures rigoureuses pour assurer un diagnostic précis du RGO, de prescrire la dose efficace la plus faible et de surveiller les patients régulièrement, surtout s’ils présentent des facteurs de risque associés à d’autres problèmes de santé ou s’ils se font traiter pour d’autres affections médicales (comorbidités). Comme pour toutes décisions prises relatives aux ordonnances, le médecin et le patient doivent en discuter pour décider si les bienfaits d’un traitement par IPP pourraient ou non l’emporter sur les risques potentiels.

Ostéoporose et fractures

En 2013, à la demande de Santé Canada, les fabricants d’IPP ont ajouté une mise en garde à la monographie de leur produit concernant le lien entre l’utilisation d’IPP et le risque de fractures.3 Les recherches actuelles suggèrent qu’il existe une faible augmentation du risque de fractures de la hanche, du poignet ou de la colonne vertébrale chez les patients suivant un traitement par IPP. Le risque est légèrement plus élevé chez les patients qui prennent des doses quotidiennes multiples d’IPP et chez ceux qui suivent un traitement par IPP depuis au moins un an.

Une étude fréquemment citée, menée auprès de 1 211 femmes postménopausées, a démontré que l’oméprazole, un type d’IPP, est un facteur indépendant dans l’augmentation des fractures de la colonne vertébrale (des vertèbres).4 De nombreuses autres études ont aussi trouvé un lien entre certains IPP et les fractures liées à l’ostéoporose – l’ostéoporose est une maladie qui entraîne la fragilisation des os, provoquant souvent des fractures – aussi bien que les fractures non liées à l’ostéoporose. Les résultats demeurent cependant irréguliers, les associations sont faibles, certaines des études sont de qualité médiocre et les chercheurs ne savent toujours pas exactement comment les IPP pourraient entraîner des troubles osseux (on soupçonne toutefois une mauvaise absorption intestinale du calcium, du folate, de la vitamine B12 et d’autres nutriments).1 Certaines études montrent une association liée à la dose, d’autres suggèrent une association liée à la durée et d’autres encore ne démontrent aucune association entre la dose de l’IPP ou la durée du traitement et le risque de fractures. Les preuves sont contradictoires.

Les auteurs d’une analyse documentaire récente, publiée dans le Journal of Clinical Gastroenterology,1 affirment que la majorité des études démontrant un lien entre les IPP et les fractures sont des études observationnelles, lesquelles ne suffisent pas à déterminer si les IPP entraînent des fractures. Une étude observationnelle se penche sur les données disponibles (p. ex., admissions à l’hôpital, diagnostics, ordonnances) et tente d’expliquer certaines des associations qui ressortent de ces données. Les auteurs de l’analyse déclarent que les chercheurs de certaines études observationnelles pourraient confondre les facteurs de risque des patients avec d’autres facteurs de risque connus de fractures.1 Par exemple, s’il manque à une étude des données importantes qui permettraient d’établir un portrait plus fidèle de la santé du patient (p. ex., le moment choisi pour le traitement ou la présence d’autres facteurs de risque de fractures, tels que le tabagisme, l’âge et les antécédents familiaux), les chercheurs pourraient, à tort, mettre plus d’emphase sur l’utilisation d’IPP comme cause. Les auteurs de l’analyse suggèrent qu’une carence alimentaire, plutôt que l’utilisation d’IPP, pourrait dans de nombreux cas être la cause réelle des fractures.1

Les experts ne recommandent pas actuellement aux médecins de surveiller la densité minérale osseuse chez les personnes prenant des IPP, ni de suggérer des suppléments de calcium à ces patients. D’autres études pourront probablement élucider cette question.

Carence en vitamine B12

Une étude publiée en 2013 dans le Journal of the American Medical Association5 a comparé 25 956 patients ayant reçu un diagnostic de carence en vitamine B12 à 184 199 patients ne souffrant pas d’une telle carence. Tous les sujets étaient des patients de la Kaiser Permanente Medical Clinic dans le nord de la Californie entre 1997 et 2011. Les patients ayant pris des IPP pendant plus de deux ans étaient 65 % plus susceptibles de souffrir d’une carence en vitamine B12. Le risque était le plus important chez les personnes suivant un traitement par IPP à long terme, chez les personnes prenant une dose plus forte et chez les femmes. Les auteurs de l’étude soutiennent que leurs résultats ne font pas ressortir d’autres facteurs de risque pouvant expliquer l’association. Cependant, le risque est assez faible – si 67 personnes prennent des IPP pendant deux ans, une seule d’entre elles souffrira d’une carence en vitamine B12.

Une analyse documentaire récente décrivant des études précédentes présente des résultats comparables;2 cette étude plus récente est cependant la plus importante à ce jour et elle est la première à se pencher sur un vaste échantillon de la population plutôt qu’uniquement sur les personnes âgées. Les symptômes d’une carence en vitamine B12 pourraient comprendre l’engourdissement ou le picotement des mains, des jambes ou des pieds; des problèmes d’équilibre; l’anémie; la jaunisse; des difficultés cognitives telles que la perte de mémoire, la paranoïa ou des hallucinations; et la faiblesse ou la fatigue. Si la carence n’est pas traitée, certains des symptômes et des complications peuvent être irréversibles. Le traitement pourrait consister en un simple supplément de vitamine B12.

Hypomagnésémie

La littérature scientifique actuelle sur ce problème comprend plusieurs rapports de cas isolés et de petites séries de cas.1,2 Certaines de ces études ont établi qu’il est peu probable qu’une hypomagnésémie liée aux IPP se manifeste jusqu’à au moins un an suivant le début d’un traitement par IPP et la plupart des études n’ont pas trouvé de facteurs liés à la dose. Il y a un risque accru additionnel chez les personnes âgées et chez celles suivant un traitement aux diurétiques ou à la digoxine. Le mécanisme causal pourrait avoir un rapport avec une mauvaise absorption intestinale. Les médecins ne procèdent pas à une vérification systématique pour déceler des taux faibles de magnésium chez les personnes prenant des IPP; certains chercheurs sont d’avis que l’hypomagnésémie liée aux IPP pourrait être plus courante que ce qui est documenté.

Parmi les symptômes de l’hypomagnésémie, notons la perte d’appétit, les vomissements, la fatigue, la faiblesse, un changement de personnalité, des contractions musculaires involontaires (la tétanie) et les tremblements. De nombreuses affections sont associées à l’hypomagnésémie, notamment la malnutrition, les troubles de la glande parathyroïde, l’alcoolisme et le diabète. Les experts conseillent aux fournisseurs de soins de santé d’être conscients de la possibilité d’une hypomagnésémie et d’en prendre note si elle se présente, surtout chez les personnes ayant d’autres facteurs de risque.

Le traitement est personnalisé. Chez de nombreux patients, un simple supplément de magnésium suffit à régler le problème.6 Cesser de prendre un IPP en le remplaçant par un antagoniste des récepteurs H2 (anti H2) pour le traitement du RGO peut s’avérer utile chez certains patients.7 Ce n’est pas le cas si le traitement par IPP servait à protéger le patient contre des saignements liés à un ulcère (les patients prenant un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) par exemple), puisque les médicaments de la classe des anti H2 ne fournissent pas la même protection.1

Effets cardiovasculaires liés au clopidogrel

Plavix® (clopidogrel) est un anticoagulant vendu sur ordonnance qui aide à prévenir les caillots sanguins chez les personnes ayant des antécédents d’accident vasculaire cérébral ou de crise cardiaque (maladie cardiovasculaire). De nombreuses études ont démontré un risque accru d’accidents cardiovasculaires chez les patients prenant des IPP (surtout l’oméprazole) en cothérapie avec du clopidogrel.1 Cela est préoccupant puisque les IPP pourraient rendre le clopidogrel moins efficace, résultant en un risque accru d’évènements cardiovasculaires chez les patients étant déjà vulnérables.1 En 2011, Santé Canada a conseillé aux médecins d’éviter de prescrire l’oméprazole ainsi que d’autres IPP aux patients prenant le clopidogrel. Précédemment, Santé Canada avait découragé l’utilisation d’IPP avec le clopidogrel, mais il a resserré la recommandation afin d’inclure seulement les IPP pour lesquels il existe des preuves significatives.8 Il est fort probable que ces recommandations continueront d’évoluer avec la publication des résultats de recherches futures.

Un récent essai contrôlé randomisé (le type d’étude le plus fiable) mené auprès de 3 873 patients n’a montré aucune augmentation d’évènements cardiovasculaires indésirables chez les patients prenant l’oméprazole en cothérapie avec le clopidogrel.9 Malheureusement, les chercheurs ont dû interrompre l’étude avant son achèvement en raison d’un manque de fonds. Les auteurs de l’étude avaient l’intention de faire un suivi auprès des participants pendant une période de deux ans ou jusqu’à ce que 143 évènements cardiovasculaires se soient produits (selon la première éventualité). En fin de compte, l’étude ne s’est déroulée que pendant 180 jours, période durant laquelle 106 évènements cardiovasculaires ont été observés.  Si l’étude avait été achevée, des données sur des évènements cardiovasculaires additionnels auraient été disponibles aux fins de l’analyse.

Selon une analyse documentaire récente, les études disponibles manquent de cohérence, certaines d’entre elles démontrant un lien faible avec seulement quelques-uns des IPP.1 De plus, les recherches ne montrent pas de relation de cause à effet convaincante. Quoique les chercheurs s’entendent pour reconnaître qu’il est théoriquement possible pour les IPP d’interagir avec le clopidogrel, les recherches jusqu’à maintenant n’ont pas réussi à démontrer des preuves convaincantes d’une telle interaction.1 D’autres études ont montré une augmentation des évènements cardiovasculaires associée à l’utilisation d’IPP même sans l’utilisation du clopidogrel. Les auteurs de l’analyse suggèrent que d’autres facteurs de risque cardiovasculaire, plus souvent présents chez les utilisateurs d’IPP comparativement à la personne moyenne, sont probablement responsables du risque élevé d’évènements cardiovasculaires chez les utilisateurs d’IPP, et non les médicaments eux-mêmes.1

Des recherches additionnelles de haute qualité sont requises dans ce domaine. Somme toute, les experts recommandent aux patients ayant des antécédents de problèmes cardiovasculaires ou des facteurs de risque associés à de tels évènements de continuer de prendre des IPP s’ils en ont besoin et ce, à la dose efficace la plus faible et uniquement pour aussi longtemps qu’il le faut.1,2

Infection à C. difficile

En 2013, Santé Canda a diffusé un avis concernant la possibilité d’une association entre l’utilisation d’IPP et un risque accru d’infection à Clostridium difficile (ICD).10 C. difficile est une bactérie pouvant occasionner une diarrhée et entraîner d’autres affections intestinales plus graves. Les facteurs étant connus pour accroître le risque d’infection comprennent l’âge avancé, une maladie sous-jacente grave, l’hospitalisation et la prise d’antibiotiques.

Un certain nombre d’études ont suggéré un lien possible entre les IPP et le risque accru d’une ICD surtout chez les patients vulnérables et chez ceux prenant des doses plus élevées.2,11 Les IPP augmentent le pH gastrique, permettant la prolifération de C. difficile lorsque la bactérie est présente. Une méta-analyse de 30 essais, comportant 202 965 patients, a révélé que les cas d’ICD étaient considérablement plus nombreux chez les patients ayant reçu un traitement aux IPP.2

Santé Canada continue de surveiller cette question en évaluant les preuves scientifiques au fur et à mesure qu’elles apparaissent. Les symptômes d’une ICD sont notamment une diarrhée aqueuse ou sanglante grave (au moins trois selles par jour pendant deux jours ou plus), une fièvre, la perte d’appétit, des nausées et une douleur ou sensibilité abdominale. Les personnes suivant un traitement par IPP qui développent une diarrhée qui ne s’améliore pas devraient immédiatement consulter un professionnel de la santé.

Conclusion

Un nombre croissant de travaux de recherche révèlent des associations entre le traitement par IPP et de nombreux problèmes de santé. Bien que les chercheurs élaborent et évaluent des théories, la plupart des études ne démontrent toujours pas de lien causal évident avec les IPP et plusieurs d’entre elles ne prennent pas en considération tous les facteurs de risque possibles. Le fait que les IPP ne comportent pas tous le même degré de risque potentiel pose un autre défi. Des recherches futures de haute qualité élargiront notre compréhension des associations observées par les chercheurs.

Les médecins doivent faire preuve de prudence dans toutes leurs décisions relatives aux ordonnances, surtout chez les patients vulnérables. Si vous nécessitez un IPP pour contrôler vos symptômes de RGO et que les bienfaits l’emportent sur les risques potentiels, vous devriez continuer de prendre votre médicament tel qu’il vous a été prescrit. Si vous remarquez un quelconque symptôme anormal, tel qu’un de ceux décrits dans le présent article, prenez rendez-vous avec votre médecin pour lui en parler.


Publié pour la première fois dans le bulletin Du coeur au ventreMC numéro 188 – 2013
1. Chen J et al. Recent Safety Concerns with Proton Pump Inhibitors. Journal of Clinical Gastroenterology. 2012;46(2):93-114.
2. Wilhelm SM et al. Perils and pitfalls of long-term effects of proton pump inhibitors. Expert Review of Clinical Pharmacology. 2013;6(4):443.
3. Santé Canada. Communiqué de presse. Inhibiteurs de la pompe à protons : risque de fractures osseuses. 2013-04-04. Disponible à http://www.healthycanadians.gc.ca/recall-alert-rappel-avis/hc-sc/2013/26523a-fra.php. Vérifié en date du 2014-01-14.
4. Roux C et al. Increase in vertebral fracture risk in postmenopausal women using omeprazole. Calcified Tissue International. 2009;84(1):13-9.
5. Lam JR et al. Proton Pump Inhibitor and Histamine 2 Receptor Antagonist Use and Vitamin B12 Deficiency. Journal of the American Medical Association. 2013; 310(22):2435-42.
6. Culpepper BL et al. Long-Term Consequences of Chronic Proton Pump Inhibitor Use. US Pharmacist. 2013;38(12):38-42.
7. Santé Canada. Les inhibiteurs de la pompe à protons : hypomagnésémie accompagnée d’hypocalcémie et d’hypokaliémie. Bulletin canadien des effets indésirables. 2011;21(3). Disponible à  http://www.hc-sc.gc.ca/dhp-mps/medeff/bulletin/carn-bcei_v21n3-fra.php. Vérifié en date du 2014-01-14.
8. Santé Canada. Communiqué de presse. Plavix (anticoagulant) : Nouvelles recommandations sur l’utilisation avec des inhibiteurs de pompe à protons (antiacides). 2011-09-22. Disponible à  http://www.healthycanadians.gc.ca/recall-alert-rappel-avis/hc-sc/2011/13545a-fra.php. Vérifié en date du 2014-01-14.
9. Bhatt DL et al. Clopidogrel with or without Omeprazole in Coronary Artery Disease. New England Journal of Medicine. 2010;363(20): 1909-17.
10. Santé Canada. Communiqué de presse. Les inhibiteurs de pompe à protons (antiacides) risquent de causer une diarrhée associée à Clostridium difficile. 2012-02-16.
11. Howell MD et al. Iatrogenic gastric acid suppression and the risk of nosocomial Clostridium difficile infection. Archives of Internal Medicine. 2010;170(9):784-90.